Qu’apprenons-nous des générations passées ? Quelles leçons nos parents et nos grands-parents nous laissent-ils ? Leur vie a été bien différente dans le spectre des valeurs, des choix, de parcours. Le changement du siècle est visible, quelque soit le domaine dans lequel on regarde.
La pandémie récente et ses suites me rendent analytique. J’essaie de voir l’événement sur toutes les marches de l’échelle qui peuvent s’y appliquer. Celle des choix et des comportements personnels vis à vis de moi-même, de ma famille et de la société est forcément la plus intéressante et la plus défiante. Est-ce que mes valeurs fondées, mon civisme, mon éthique suffisent pour garantir que mes choix de vie et de comportement soient respectueux vis à vis des autres ? Est-ce que ma vision de la réalité doit s’enraciner dans la politique de mon pays, dans ma sensibilité et dans mon intellect ou dans un mélange d’un savoir mondial et de mes constats glanés au quotidien ? Le passé de mes ancêtres m’interpelle ici et pèse d’un poids sur mon regard. La mémoire cellulaire et la mémoire collective ne mentent pas.

Mon grand père maternel a été victime d’un événement appelé ‘la tragédie silésienne’ : https://www.slaskie.travel/article/1012603/tragedia-gornoslaska-1945-roku – en polonais, traduisible sur Google. Employé d’une mine de charbon à Gliwice (Gleiwitz)- ville frontalière appartenant à l’Allemagne au commencement de la deuxième Guerre Mondiale – il a vu son destin tourner lorsque en janvier 1945 les soldats russes ont libéré sa ville. D’une manière despotique et cruelle ces mêmes soldats ont commencé la persécution des habitants, les prenant tous pour des ennemis allemands, alors que la ville à travers l’histoire passait régulièrement des mains polonaises aux allemandes. La population y était parfaitement mélangée au sein de chaque famille. La vengeance la plus criante était la décision de déportation des hommes en force d’âge vers l’Union Soviétique pour travaux dans des camps. Ainsi, comme des milliers de ses compatriotes de Gleiwitz, devenu Gliwice, et de villes alentours, mon grand père s’est retrouvé visé par l’appel. Mes grands parents avaient à l’époque cinq enfants en bas âge et mon grand père était maladif. Prétextant sa faible santé ma grand-mère supplia son mari de demander un relâche mais celui-ci jugeait qu’il se serait déshonoré aux yeux de ses collègues et connaissances. La suite des événements et la dureté du sort des appelés sont à peine descriptibles. Les conditions de transport et de vie de ces prisonniers ont provoqué leur massive disparition. Tristement, la trace de mon grand père s’est perdue dans la géographie de l’Union Soviétique et dans le temps. Ma grand-mère a reçu, à un moment donné, un message sans détails annonçant la disparition de son époux. Les déportations, soigneusement mises sous silence lors de la période communiste de la Pologne, ont fait l’objet de recherches et de devoir de transparence dans les années 1990. Une liste de déportés a été érigée et publiée. Le nom de mon grand père n’y a même pas figuré. Connaissant, à présent, les détails de l’opération, rapportés par de rares survivants, je pense qu’il est décédé lors du transport.
Il y avait une époque qu’a appris aux hommes que leur survie, la survie de leur famille dépend étroitement de la survie de leur nation, de leur pays. Cet état de choses est très tangible dans l’histoire de la Pologne ; elle a été à travers les siècles découpée et reléguée sous différents règnes. Aujourd’hui la souveraineté d’un pays européen ne se conteste plus et son existence est garantie par la politique sécuritaire internationale. Les citoyens sont dédommagés de leur rôle de garants de la stabilité de la nation. Il leur reste la tâche, non moindre, de veiller sur la vie de leur famille, sur la vie de leurs proches. C’est au nom de cette stabilité et continuité familiale, c’est dans la mémoire de mon grand père, tragiquement disparu, que je me dois prendre des décisions me concernant dans la réalité de la situation générale, en tirant une leçon de vie, de celle de mes grands parents maternels. Que la mémoire de leur vie serve aux générations futures.