L’histoire

Qui a dit que l’histoire aimait se répéter ? 

Le côté cyclique de l’histoire de l’être humain est-il dû au fait que ce dernier n’apprend pas par les étapes de son parcours et est obligé de les retraverser?

L’histoire, que je vous raconterai, commence à la frontière de deux pays et deux cultures – germanique et slave, dynamique et posée, conquérante et sédentaire. Elle se tisse sur un terrain tampon qui appartenait tantôt à un pays puis à l’autre. C’est là que naît ma mère dans une famille de mixage germanophone-polonais. Son enfance se déroule pendant la guerre et dans la culture et la langue allemande. À la fin de la guerre la vie bascule ; ‘libérée’ par les Russes la région revient aux mains des polonais. La grande famille maternelle se réunit – trois tantes avec leurs familles, un oncle et les grands parents se posent la question sur leur destin et leur futur – rester ou partir ? Rester et subir le régime stalinien, partir vers un avenir incertain en laissant tout derrière soi ? Les grands parents se sentent slaves et se rappellent le temps de l’appartenance de la région à cette culture. L’oncle décide de rejoindre sa bien-aimé partie en Allemagne. Ses sœurs avec familles décident de traverser la nouvelle frontière et rester dans leur culture germanique. Ma grand-mère, seule avec cinq enfants, depuis que mon grand père a été déporté en Sibérie, sous prétexte de réparation aux Russes, rejoint le clan de ses parents. Ma mère se souvient du jour du départ des exilés- son cousin âgé de même pas un an dans la poussette, en guise de matelas une épaisseur de couches  pour le change, sa mère et son père une valise à la main tournent le dos à un avenir dont ils ne veulent pas. Tous les quatre se reverrons quarante ans plus tard quand ma mère pourra enfin se rendre en Allemagne. 

La vie suit son cours, l’histoire suit ses turbulences. Des moments radieux apparaissent : ma mère rencontre un Polonais de pure souche – mon père – ils fondent une famille, je nais. Ma mère et sa mère continuent à se parler en allemand et l’histoire se répète ; je comprends très vite qu’on peut s’exprimer de diverses façons et se comprendre, mais pour l’instant, pour l’enfant que je suis, les gestes et les mimiques sont plus importants que les mots. La réalité n’est pas simple, la vie est dure entre la chasse aux produits de première nécessité et les queues de plusieurs heures pour ‘attraper’ ce qui tombe sur les étals des magasins. La vie de certains est encore plus dure. Je vais à l’école et j’observe mes camarades de classe, mes amies. Je remarque que certains ont du mal à suivre, qu’ils ne comprennent pas et reçoivent leurs mauvaises notes avec une résignation. Il font partie d’un autre monde – leurs vêtements sont sales, eux-mêmes peu soignés, ils ont parfois des traces physiques de leur misère. Je les découvre davantage lors des séances d’entraide au sein de la classe. Je découvre leur mutisme et des aveux chuchotés sur la vie à la maison, sur maman et papa, sur les beuveries de papa et sa violence envers maman. J’ai du mal à les comprendre, ils restent une énigme, je ne sais pas ce qui se passe en eux car ce n’est jamais livré. Mais ils se gravent une place dans ma mémoire et je continue à leur prêter attention jusqu’à la fin de notre école commune. 

Les temps changent, le climat se réchauffe, ceux qui prétendent à leurs origines germaniques ont le droit de s’installer de l’autre côté de la frontière. L’histoire se répète – rester ou partir ? 

Je voyage depuis mes 18 ans ; la Finlande, l’Allemagne. Les frontières, même fermées pour nous- ceux sur bloc est, les passages nécessitant un visa, ne sont pas un obstacle pour moi. J’ai tellement côtoyé ce l’Ouest grâce à ma famille maternelle que j’ai envie de le découvrir de près. Ma grand mère a fini par s’installer auprès de son clan germanique; j’en profite pour les rencontrer enfin, ces tantes et ces oncles des photographies encadrées sur la commode de grand mère. Et le bilinguisme fait ses fruits – je choisis des études linguistiques et pars à la découverte d’une autre culture – ni germanique ni slave mais venant de lointain Oural. L’histoire se répète – le clan en mouvement engendre le mouvement. 

Je comprends que je suis un être de ce monde, née dans un lieu je peux prétendre et vivre ailleurs car la Terre entière est notre lieu de vie. Ce qui est particulier c’est la culture. Le sol, l’eau, l’air sont les mêmes pour tous les humains. Et entrer dans une autre culture, la découvrir, la côtoyer, la vivre est intéressant et enrichissant. Mes études me mènent en Scandinavie. Je m’y sens comme à la maison dans les traits de caractère que je partage avec les scandinaves, dans leur amour et leur proximité avec de la nature. Reste la différence ethnique. Je rencontre des jeunes d’autres pays et continents ; la différence culturelle n’efface pas l’évidence que nous voulons être tous heureux et actifs dans notre jeunesse. 

Et puis …  je rencontre mon amoureux et un changement de décor complet s’opère car il est français. La question revient – rester ou partir ? 

Nous nous installons en France et y fondons notre famille. Le climat s’est tellement bien réchauffé, nous sommes jeunes, nous sommes heureux, nous voyageons, nous vivons dans une vie multilingue – nos enfants parlent français et polonais et apprennent l’anglais dès leur plus jeune âge. Le monde s’ouvre de plus en plus, les frontières de barbelés sont tombées, l’espoir de l’ascension éthique et économique des cultures est palpable, le monde est en mouvement – en voyageant on rencontre des peuples, des ethnies qu’on n’a jamais vu voyager au par avant, on peut savoir quasi instantanément ce qui se passe à l’autre bout du globe. Pourquoi rester ? Partons, bougeons. 

L’informatique permet de suivre le monde et de retrouver ses amis et connaissances perdus de vie. Je ne résiste pas à l’envie de retrouver mes camarades de classe de l’école primaire – ceux qui ont partagé ma vie, ceux qui ont galéré. Deux surprises – nombreux sont partis à l’étranger, même beaucoup plus loin que moi et deux – tout le monde s’en est bien sorti dans la vie. Visages souriants, beaux vêtements propres, allure de santé témoignent que la vie a donné la chance à tout un chacun. Tout bouge vers sa meilleure version, le progrès est exponentiel, la vie est bonne. Mais … les conditions climatiques se dégradent. Rester davantage, partir moins. 

L’an 2020 arrive. Pandémie du covid. Catastrophe. Le monde retient son souffle, les vies balayées, la panique, l’impuissance, des gestes irréfléchis, des décisions illogiques. A travers le globe entier – nous sommes tous à la même enseigne, sous les mêmes restrictions et interdits. Frontières fermées. Impossible de bouger, interdiction de partir. Temps de réflexion, temps de questionnement. 

En 2021 la vaccination apparaît et change la donne – nouveau conflit : conflit de choix, conflit de valeurs, conflit de consciences. Persécution, stigmatisation, pression, abus de pouvoir, chasse à ceux qui posent des questions, qui veulent savoir. La crise sanitaire ressemble de moins en moins à une crise d’un méchant virus et de plus en plus à une action organisée de prise de pouvoir au niveau mondial. 

Rester ou partir …. ? Où ? 

A travers les eaux, montagnes enneigées, les barbelés -le pire des fléaux des temps modernes ; rester ou partir ? 

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