Le bus suit lentement la route qui serpente à travers la forêt. Des hauts sapins, l’herbe, de petites plantes et la mousse – le tout bien verts. L’air est frais et humide et ça fait une sensation agréable dans le nez.
Je connais cette situation et cette ambiance. Je les ai déjà vécues en Finlande où ce type de trajet était mon parcours quotidien vers le lieu de mon stage. Septembre frappait à la porte avec les matins frais et brumeux, avec les couleurs vives de sorbiers, des érables, des bouleaux, encore riches de l’énergie d’été. Le bus était lent et bougeait comme un serpent à travers de petites routes de la banlieue de la plus verte capitale d’Europe, Helsinki. En regardant par la fenêtre de mon bus les images se superposent et j’ai l’impression d’être de nouveau en Finlande. C’était l’époque où il n’y avait pas de smartphones, où le temps était accordé à ‘ne rien faire’, à penser, à être, à regarder par la fenêtre depuis le bus en marche. C’est de tels moments qui ont permis l’empreinte de ces images, de ces ambiances. Dans la forêt de l’Italie du nord je voyage à travers ma vie et je retrouve la sensation de bien-être vieille de quarante ans.
Nous sommes dans les Dolomites, dans le sud de Tyrol ou, comme on dit ici, dans Alto Adige, province autonome d’Italie, où les langues officielles sont l’allemand, l’italien et le ladin (une variante de latin qui a changé de forme à travers les siècles et sous différentes impulsions).

Hier nous avons fait cette randonnée rêvée autour de Tre Cime de Lavaredo dans la commune de Dobbiaco ou Tolbach. Départ de refuge Auronzo à 2320m, qu’on peut atteindre en voiture, s’il reste de place sur le parking autour de celui-ci. Matin frisquet, 7°C en haut à 9h30 et plein de nuages sur les trois cimes (qui culminent à près de 3000m). Pas grave, nous aurions une plus grande surprise quand les nuages se dissiperont enfin (à notre arrivée au troisième).
Le parcours, dans sa plus grande partie, n’est pas exigeant mais impressionnant si on regarde comment il a été tracé – un chemin arraché sur la hauteur de la base des colosses de trois cimes. Cette base qui constitue un socle mouvant et en transformation constante. Alors que le soleil commence à se montrer et les nuages se dissipent et se déplacent dans tous les sens, le moment où leur voile est complétement levé est whaaa !
La vue et la présence de ces monolithes impressionnants, ces doigts, ces mains en prière s’étirant vers le ciel, invite à la recherche de l’espace de calme et de paix en soi. Comme si nous étions témoins de la prière de la Nature à l’Univers. On se sent infiniment petit devant cette puissance minérale, robuste et stable et comme sortie de sa base qui s’écoule pour adoucir leur émergence.
Arrivés à l’arrête de Piccolo, le troisième et le plus inspirant monolithe, nous regardons la totalité de la construction naturelle et apercevons des alpinistes au milieu du pic le plus haut. Il s’élève à 2999m. Un hélicoptère effectue des vols répétés près des trois cimes et près des monts qui les entourent. Pas moins bien lotis dans leur apparence majesteuse. Et pour nous s’ouvre un fin fil de chemin coupant en deux dans la hauteur le Munt Paterno. À moins que nous préférions la marche près de la crête avec une via ferrata mais nous n’avons pas de casques … Ou encore – la balade tranquille sur le balcon du bas entre le mont et la prairie. Un moment d’hésitation car le fin fil de chemin est par moment semé de pierres et roches à enjamber ou à gravir. Nous ne rencontrerions personne qui essaierait d’aller dans le sens inverse. Ce serait peine perdue – nous ne pourrions nous croiser.
Les Tre Cime et les monts voisins ont été théâtre de combats pendant la Première Guerre Mondiale. La région passait des mains austro-hongroises en mains italiennes avec les combats qui ont eu lieu en altitude. De l’époque il reste quelques constructions- tunnels-posts de guet qui permettent aujourd’hui des photos originales. Sans l’oublier et en imaginant la dureté de la situation.
Dix kilomètres pour faire le tour de ce géant, 5 heures 30min avec les arrêts pour contempler les paysages et s’en imprégner, pour les prendre en photo, pour se restaurer et pour faire face aux conditions météo.


Et un goûter avec vue au retour au refuge Auronzo.

Dobbiaco ou Tolbach la ville la plus proche de Tre Cime de Lavaredo et le lieu où Gustave Mahler passait ses vacances et composait. Alors il y a son monument.

Faire une course dans une boulangerie en utilisant trois langues à la fois ; ci ça n’étonne personne.
Visite au Musée Ladin à San Martino di Badia pour mieux comprendre le monde d’ici. Très, très intéressant. Comme chaque musée de ce type c’est un lieu de démystification de ce qu’on a déjà perçu et ce dont on s’est étonné. Le nom Dolomites dérive de la découverte par Déodat de Dolomieu de nouveau minéral carbonate de calcium et de magnésium dont sont composées les roches locales – celles qui se colorent en rouge au coucher de soleil.
Une section bien garnie réservée à la culture ladine, le développement de l’artisanat, de la langue (qui a ses origines dans le latin instauré par les romains affluant de Venezie) et du maintien d’une certaine indépendance après la Deuxième Guerre Mondiale. Attachée à l’empire Austro-Hongrois avant la Première Guerre Mondiale la région s’y identifie davantage qu’à l’Italie.
Un seul regret – les explications en anglais étaient rudimentaires et mes italien et allemand pas assez forts pour comprendre les autres informations. Sans parler du Ladin



25 000 pas aujourd’hui c’est à dire 13km5. L’homme ne serait-il pas fait pour marcher ? Si, j’en suis certaine, je l’ai déjà constaté lors de notre parcours de South Downs dont je parle ici : https://voyageatraverslesambiances.wordpress.com/2020/01/29/le-south-downs-way/
Le nettoyage du corps qui s’opère, la tonicité qui augmente, le rythme du cœur qui devient plus lent au repos, la musculature qui s’étoffe, la respiration qui s’approfondit sont pour moi la preuve que nous devrions marcher, beaucoup marcher pour rester agiles et en bonne santé.
La randonnée au Fanes est à travers des paysages lunaires de montagnes ravinées. De longs glissements de la matière comme si les monts tentaient de se liquéfier en un esthétique geste de mouvement vers le bas. Un arrêt pour regarder le paysage et nous entendons des pierres se détacher et rouler vers les tas déjà accumulés à la base.


Arrivée au Lago Piciodel avec l’eau comme dans le robinet – claire et transparente mais qui n’héberge aucune vie animale.

Pause près du refuge Lavarella 2 qui dégage l’odeur de schnitzel en train de cuire, au bord d’un ruisseau courant vite, vite et qui fait du bruit. Le ciel est bleu clair et pure. Malgré le grand soleil nous nous rafraîchissons bien.

Fanes qui pourrait devenir ‘fun(e)s’ avec ces quatre événements marquants cette randonnée. Le premier – en court d’ascension je dois nouer autour de ma taille la lanière de ma pochette pour portable car mon bermuda a tendance à descendre. J’ai dû maigrir avec cette semaine de randonnée 😄
Le deuxième ‘fun(e)’ est moins amusant – un jeune taureau me bouscule alors que je déambule parmi les vaches sur la prairie par laquelle passe le chemin de randonnée. Je n’ai rien vu venir mais visiblement j’étais sur sa trajectoire et, évidemment, sur le terrain qu’il sentait comme le sien. Il avait sa corne gauche limée donc il ne m’a pas accroché avec, juste poussé et déséquilibré, et il a continué son chemin.
Le troisième événement ‘fun(e)’ est arrivé comme suite du trempage de ma chaussure gauche dans le lac de Piciodel pendant la montée. L’eau du lac était si transparente que je ne me suis pas rendue compte quand j’ai plongé l’extrémité de ma chaussure dedans. En descendant, quelques heures plus tard, ma semelle gauche s’était décollée. L’eau du lac a-t-elle pu être acide et décoller la semelle ?
Et le dernier moment grotesque pendant le retour en bus vers notre location -nous apercevons notre arrêt trop tard et nous devons remonter 300m pour atteindre notre logement. Le problème c’est qu’ il n’y a pas de trottoir le long de cette route sinueuse et fréquentée. Nous décidons de nous réfugier derrière les glissières et marcher le long de la rivière, sur une bande de terrain vague. Et on se fait klaxonner comme si on faisait quelque chose d’inapproprié ! Enfin, tout est bien qui finit bien. Cette randonnée nous a aéré à souhait – corps et tête léger nous savourons la soirée autour des plats typiques de la région – la salade de roquette aux olives de Ligurie, des canederli aux épinards, à l’huile d’olive de Sicile et au parmesan, et des lactaires ramassés par nos soins lors de nos balades avec au dessert un gâteau aux pommes et pignons offert par la propriétaire de notre logement. Un rééégal.



Nous nous y arrêtons pour la dernière nuit en Italie à Martello ou Martell où l’allemand est de nouveau la langue principale partout. Et tout s’explique quand nous faisons le tour du village et apercevons que l’école primaire est d’expression allemande dans cette province autonome d’Italie. Noir sur blanc les valeurs affichées.


Arrivée à l’hôtel ambiance autrichienne à volonté. On nous accueille gentiment et en allemand autrichien ; même plus la question de tâtonner le choix de la langue – les touristes autrichiens, allemands et suisses y sont la majorité. Et tout est de nouveau impeccable, malgré un âge certain de cet hôtel, un peu démodé mais très propre et rangé. Dans le couloir un imposant crucifix côtoie la tête de bison en peluche. Je n’ai rien contre la démonstration de la ferveur religieuse, si telle est la loi ou la culture du pays, mais je trouve qu’accrocher un crucifix de plus d’un mètre de haut dans un lieu de passage fréquent est un acte déplacé. Cette croix n’est pas uniquement un manifeste religieux. Sur cette croix a agonisé un être humain et surhumain à la fois, on lui a cloué les mains et les pieds. La réplique exprime une grande souffrance et cette image nous renvoie à la violence des humains auteurs de l’acte. Être en présence de cette souffrance, historique ou imagée, peut importe, mais bien illustrée, m’est difficile et pose une chape de plomb sur ma conscience humaine et sur mon humeur.

Nous continuons donc notre communication nécessaire en allemand. Le soir au restaurant la serveuse nous traite en allemand et comme si nous le connaissions parfaitement malgré notre expression lente et nos échanges en français entre nous. Mais au moment du plat de résistance elle change soudainement pour l’italien 😄 et continue ainsi jusqu’à la fin de service en acceptant notre concision. L’italien reste plus facile à lire qu’à parler en phrases polies et bien tournées.
Martello c’est un genre de Strawberry Hill, avec des plantations de fraises et les fruits qui apparaissent partout – dans le dessert au restaurant, sur la table de petit déjeuner et dans les commerces locaux.
Séjourner dans un hôtel germanique où un autre lieu d’accueil du public me renvoie toujours à la même question- pourquoi chez eux tout fonctionne toujours bien alors que chez nous, même des installations de qualité montrent rapidement des défauts ? Ici le climat est dur, pluie, neige, soleil, humidité qui règne mais les fenêtres et les portes fonctionnent parfaitement bien, leurs huisseries sont comme neuves. Ce côté parfait a quelque chose d’insolent, d’insupportable – la vie n’est jamais parfaite, jamais sans faille. Ici ces jardinières débordantes de fleurs vivantes impeccables, fenêtres entrebâillées avec rideaux tous blancs, ambiance feutrée et lente du café de l’après-midi me rappellent tellement l’Allemagne de temps de ma grand-mère. ‘Langsam aber mitt Perfektion’. Je n’ai vraiment pas l’impression d’être en Italie.
Nous rentrons vers la France par les routes italiennes SS244, SS48 et SS241 en direction de Bolzano, la capitale de Südtirol ou Alto Adige. J’ai comme une impression que nous avons vu une toute petite partie des Dolomites ; des paysages à couper le souffle autour de Val Gardena, Corvara, Passo Pordoi, Canazei. J’ai la gorge nouée en les regardant, tellement c’est beau !





A présent quand j’entendrai parler de la compétition de ski à Val Gardena je pourrais dire ‘Je sais où c’est. J’y étais.’
« – Quel est le rôle du changement climatique dans les glissements des roches ?
Le grand glissement des roches à Braies en 2016 a eu lieu parce que le permafrost a dégelé. Permafrost est la glace permanente qui tient ensemble beaucoup de décombres et du matériau relâché. Quand, à cause du changement climatique, le permafrost fond, la montagne devient instable. Le matériau peut alors perde sa cohésion et glisser dans la vallée.
-Et c’est ce qui se produit à présent plus fréquemment ?
Dans les région de permafrost le risque de tels glissements a augmenté. C’est parce que les températures augmentent constamment. Les zones au-delà de 2500m au dessus de la mer sont ainsi déstabilisées. De l’autre côté – les glissement des roches font partie d’un processus normal d’érosion qui a toujours existé et qui peut être attribué au cycle de gel et dégel. La culmination des Alpes a cessé il y a bien longtemps, alors que celle des Himalaya continue encore, et les Alpes sont maintenant en train de s’éroder.
-Un temporaire visiteur des Dolomites aura du mal à croire qu’eux aussi vont un jour disparaitre.
Oui, mais il n’y a pas besoin de se lamenter de ce fait. Ce processus prend des millions d’années. Et les montagnes que nous voyons aujourd’hui sont également le produit d’une érosion. »
Interview d’Ursula Sulzenbacher, géologue de Dobbiaco dans « Tales from valley floor up to the summit », 2021 Dolomites magazine.