
Bangkok. Centre ville. Pour atteindre le marché la vieille dame doit traverser une passerelle au-dessus d’une voie rapide. Elle peine à monter les marches qui mènent vers celle-ci. Une rondelette femme dans sa cinquantaine traverse la passerelle dans l’autre sens. Elle s’arrête près de la mamie, lui donne la main et l’aide à gravir les marches restantes. Elle l’accompagne jusqu’au bout de la passerelle et l’aide à descendre de l’autre côté. Puis elle remonte, retraverse la passerelle et continue sa course vers le lieu connu à elle seule. En observant la scène j’avais l’impression que les deux dames se connaissaient. J’ai vite rédigé dans ma tête un scénario en voyant le geste d’aide de la main de la plus jeune – elle a rencontré par hasard un membre de sa famille et l’a aidé. Mais les deux dames n’ont pas échangé un mot, ni même un sourire ou un merci. La plus jeune n’a pas, non plus, envisagé d’accompagner la personne âgée à faire ses courses. Alors, elles seraient peut être des inconnues, reliées pour un instant par le geste d’aide à l’initiative de la personne plus jeune. Le fait, banal mais tellement parlant, me touche et noue ma gorge. J’essaie d’imaginer la scène semblable à Paris ou dans une autre ville de France où accoster une personne sans parole, avec un geste semblable pourrait être mal pris. On ne touche pas l’autre sans l’en prévenir, on ne touche pas un.e inconnu.e, on demande la permission d’aider, on demande s’il y a besoin d’aide. Tout cela est peut être juste. Mais ce hiatus entre se montrer comme un inconnu qui veut aider et faire un geste bienveillant sans explication change tellement la donne. Nous sommes deux sociétés différentes, deux sociétés qui abordent la vieillesse autrement, deux sociétés qui séparent ou relient le moi et l’autre. A part ou avec. Nous ou toi et moi.
L’individualisme ce n’est pas porter le béret rouge alors que tout le monde en porte des noirs. L’individualisme c’est de rester dans sa zone de confort alors que la situation nous invite à se montrer flexible et à agir.